« Rédigés au cours de l’hiver 1918-1919, alors que Vaslav Nijinski résidait en Suisse avec sa femme Romola et leur fille Kyra, ces cahiers se présentent comme le témoignage bouleversant d’une vie de création faite de gloire et de souffrances. Alors âgé de vingt-neuf ans, sur le point de sombrer dans la folie, l’artiste évoque sa douleur de vivre et relate sa quête humaine et spirituelle à travers son art et dans sa vie quotidienne. Répétitive, obsessionnelle, violente, sa prose, parfois incohérente, s’accorde avec le souhait de son auteur : donner plus à ressentir qu’à comprendre. »
Ce texte est la présentation que font les éditions Actes sud des Cahiers de Nijinski.
Il donne une idée assez juste de l’expérience que nous propose le spectacle que j’ai découvert hier au Théâtre de la Reine Blanche.
A peine installés, alors que la scène est encore dans la pénombre et la salle allumée, on aperçoit un étrange personnage sortant des coulisses… Il semble venir s’imprégner de l’atmosphère … et très vite, il parcourt la salle, observant le public de son regard à la fois perçant et égaré… Un cahier est coincé dans la ceinture de son pantalon, comme un trésor.
C’est bien Nijinski qui est parmi nous….
Il pratique des étirements, échauffement du danseur et de l’acteur, et nous scrute, aux aguets…
Ses gestes sont profonds, lents, mécaniques… et semblent parfois lui échapper, dans des spasmes, des gestes brusques et saccadés qui font craindre un accès de violence, et m’amènent à la plus grande prudence, dans mes regards, mes gestes… comme face à un fauve qui serait prêt à me sauter à la gorge…
Après de longues minutes… deux musiciens s’installent face à face sur scène, créant un écrin protecteur au milieu duquel Nijinski-Denis Lavant va pouvoir venir se réfugier, et s’exprimer, lancer un long cri, entre la certitude d’être Dieu, et les douleurs du corps et de l’âme… malmenés, épuisés…
Les mots, les corps, la voix, la musique se mêlent.
Le violoncelle de Gaspar Claus et le saxophone de Matthieu Prual semblent parfois anticiper ou prolonger le cri de rage et de douleur du grand danseur.
Entre la langue française et la langue russe, le temps du récit et celui de l’incantation, les regards tendres ou effrayants, le poids mort du corps ou la légèreté d’une plume…. les allers-retours sont incessants.
La lumière est parfois très blanche et crue, puis très chaude et douce, ou s’éteint, nous faisant basculer dans le mystère total. La création vidéo en direct, ponctuellement, nous amène au plus près des muscles au travail ou de tout ce que le visage et le regard ont à nous dire…
L’ensemble crée une oeuvre impressionniste, perturbante… qui nous donne à ressentir les élans d’un génie et la folie qui le gagne peu à peu…
LES CAHIERS DE NIJINSKI
DIRECTION ARTISTIQUE=Matthieu Prual
TEXTE=Vaslav Nijinski
ADAPTATION=Christian Dumais Lvowski
AVEC=Denis Lavant [voix et corps] + Gaspar Claus [violoncelle et électronique] + Matthieu Prual [saxophone, clarinette basse et électronique)
CRÉATION VIDÉO=Thomas Rabillon
CRÉATION LUMIÈRE=Loïc Seveur
REGARD CHORÉGRAPHIQUE=Jérémie Bélingard
INGÉNIEUR DU SON=Matthieu Fisson
« Sa femme décrit ainsi sa dernière représentation : Nijinski prit une chaise, s’assit face au public, et commença à fixer les gens du regard, comme s’il voulait lire chacune de leurs pensées. Le public était comme hypnotisé.
J’allais voir Vaslav et lui dit :
- S’il te plait, veux-tu bien commencer
- Comment oses-tu me déranger ! Je ne suis pas une machine. Je danserai quand j’aurai envie de danser. »
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