Pour sa première mise en scène, Loïc Mobihan n’a pas choisi la facilité… et il relève le défi brillamment !
Après tout, l’auteur n’avait que 23 ans quand il a écrit cette pièce, qui navigue en permanence entre légèreté et drame, espoirs et désenchantement.
Et la réussite de ce spectacle réside notamment, je trouve, dans sa capacité à nous faire traverser « en douceur » tous ces états émotionnels, à nous faire passer, avec les personnages, d’un enthousiasme joyeux à une profonde mélancolie, nous plaçant ainsi face aux contradictions et l’absurdité de notre condition humaine, et aux excès de toutes sortes auxquels le pouvoir peut conduire.
Les personnages semblent sortir d’un livre de contes aux illustrations féeriques. Ils évoluent dans un décor irréel et paisible de fleurs, de lustres en cristal et de paysages de rêve, au soleil couchant ou sous un ciel d’étoiles.
Des pluies de pétales voltigent au-dessus d’eux.
Notre immersion dans ce monde merveilleux est renforcée par le travail de la lumière, les sons de la nature et la pureté cristalline des instruments de musique qui nous enveloppent dans un cocon caressant.
Le tout résonne étrangement avec les questionnements et la désespérance du Prince…
Ce prince mélancolique, Léonce - Maxime Crescini, qui semble figé par l’ennui et désespère de trouver un sens à sa vie, est sorti de sa torpeur par un valet facétieux, Valerio - Sylvain Debry, qui au contraire, s’amuse et cherche à jouir de tous les trésors des sens que la vie peut mettre sur son chemin.
Duo classique s’il en est, que le très beau texte de Büchner enrichit de son propre questionnement.
Duo également auquel la mise en scène et les acteurs apportent une couleur bien particulière ; beaucoup de leurs humeurs et états de l’âme passent par les regards et les corps : le regard pétillant, à l’affût, le corps agile de Valério contrastent avec le regard figé, presque éteint de Léonce.
Nous découvrons aussi le vieux roi de pacotille, qui se comporte comme un enfant irresponsable, ne sait plus pourquoi il a fait un noeud à son mouchoir, et a planifié de se réjouir le jour des noces du prince ! Il est soutenu par une gouvernante et un président stoïques, bien que décontenancés par leur souverain : superbes duos burlesques constitués par Jean-Pierre Muel et Roxane Roux puis Marc Susini !
Puis une amante, espiègle Rosetta - Roxane Roux de nouveau, éconduite sans ménagement ni égards par Léonce.
Le mariage arrangé entre Léonce et une princesse qu’il ne connaît pas ne réjouit ni le fiancé ni sa promise…
Léonce et Valério décident alors de partir en voyage : une fuite « entre hommes » à la recherche des plaisirs simples de la nature et du palais.
Et au cours de cette escapade, une rencontre inattendue, un coup de foudre de conte de fées, qui redonne au Prince Léonce un souffle de vie, sans gommer totalement ses pulsions plus sombres.
Après cette parenthèse italienne, c’est le retour au Château, pour un mariage d’effigies masquées…
Divine surprise du coup de théâtre final.
Tout est bien qui finit bien… A moins que…
Un spectacle extrêmement réussi, d’une grande beauté formelle, servi par des acteurs excellents, engagés, toutes générations confondues, qui nous émeuvent, nous font rire ; une mise en scène empreinte de sensibilité et d’intelligence, qui sait rendre accessible ce texte à la fois poétique philosophique
A découvrir sans tarder à Versailles encore ce soir et les 24 et 25 Mai à Pau.
Léonce et Léna
de Georg Büchner, traduction Bernard Chartreux, Eberhard Spreng, Jean-Pierre Vincent (L’Arche),
mise en scène Loïc Mobihan,
dramaturgie Françoise Jay,
scénographie Clémence Bezat,
costumes Marjolaine Mansot,
lumières Anne Terrasse,
musique et création sonore Arthur de Bary, mouvement Maxime Thomas,
coiffures et maquillages Cécile Larue, masques Célia Kretschmar
avec Maxime Crescini, Sylvain Debry, Jean-Paul Muel, Isis Ravel, Roxanne Roux, Marc Susini
production déléguée Théâtre Montansier
coproduction Compagnie Dimanche 11h, Théâtre Montansier-Versailles, Théâtre Saint-Louis-Pau, Les Tréteaux de France – CDN itinérant et la participation du JTN
Ce projet est lauréat 2021 du Fonds Régional pour les talents émergents (FoRTE), financé la Région Ile-de-France.
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