Il y a dans cette pièce, dans la finesse de l’analyse des élans amoureux, des hypocrisies (attendre avant de se séparer pour éviter le scandale par exemple) ou de la générosité moins désintéressée qu’elle ne peut paraître, une connaissance (ou du moins une expérience) des petits travers des femmes et des hommes - sans distinction de sexe d’ailleurs !
On pense à Musset et Marivaux, évidemment, qu’évoque le metteur en scène Jean-Romain Vesperini.
La finesse du trait qui tombe juste, qui nous fait rire tout en nous questionnant sur nos propres comportements et motivations m’a beaucoup fait penser à Oscar Wilde… j’ai aussi trouvé dans cette création toute l’élégance que j’aime, tout « l’understatement » [désolée pour l’anglicisme mais je ne trouve pas de réel équivalent dans notre belle langue] qui nous laisse la possibilité, en tant que spectateur, de choisir jusqu’à quel point nous avons envie de rire et de nous regarder dans le miroir qui nous est tendu !
Xavier Gallais campe un Philippe très dandy, élégant, calme en toutes circonstances… qui finit toutefois, face à l’insouciance de Paulette, par abandonner son costume d’amant fidèle et stoïque et laisser ses sentiments et ses émotions prendre le dessus… pour peut-être trouver « de l’amour sans scandale et du plaisir sans peur »…. [c’était trop tentant de faire un pont avec Molière et Tartuffe 😉]
Le personnage qui semble le plus solide, protégé par ses grands principes, se révèle en fait vulnérable. Tout en faisant preuve d’un humour parfois cruel, il s’autorise enfin à vivre sa passion au grand jour, avec une joie quasi-enfantine.
Xavier Gallais livre une partition toute en nuances, et nous fait ressentir au-delà des rires, les contradictions, les frustrations puis la « libération » de Philippe.
Passer en quelques jours, sur la même scène, et avec le même talent singulier d’un Tartuffe « ange noir » à ce « dandy cynique et sentimental »…. des univers, des textes, des personnages si différents : quel beau travail ! Quels cadeaux pour les spectateurs !
Chapeau très très bas 🎭🎭🎭
Léonie Simaga incarne quant à elle une Claudine qui semble d’abord très sage, presque réservée… même si elle dialogue avec aisance avec Philippe et ne s’en laisse pas compter…. Elle apparaît immédiatement comme une femme de caractère, particulièrement lucide, mais peu intéressée par les intrigues amoureuses et les jeux de séduction de son entourage… Nous découvrirons que Claudine est une femme libre, « pragmatique », qui fait ce qu’elle veut, et prend tout ce que la vie lui offre ! Et elle saura saisir sa chance d’être heureuse en amour ! Léonie Simaga distille avec une énergie communicative toute l’assurance de son personnage, qui mène la danse…
Cyril Gueï joue le rôle de Carl : il est très convaincant en star de cinéma américain, séducteur qui enchaîne mariages et divorces, homme irrésistible, de l’avis même de Philippe, qui ne comprend pas pourquoi, d’ailleurs, un homme ne pourrait pas trouver un autre homme très beau !
Carl fonce, il n’a peur de rien, trouve les femmes et les hommes français bien frileux dans leurs relations, au soi-disant pays de la liberté. Malgré son succès, il n’est pas sûr de son talent … mais il ne doute pas de son pouvoir de séduction qu’il exerce sans état d’âme sur Paulette…
Paulette, enfin, est une actrice célèbre… compagne de Philippe. Un peu naïve, peut-être, mais surtout centrée sur elle-même…. Difficile de savoir quand elle est sincère ou quand elle joue… Si le personnage de Philippe s’est sans doute nourri beaucoup de l’auteur, Sacha Guitry, Paulette semble réunir en un seul personnage tout ce que les femmes/actrices de sa vie lui ont fait subir !
Marie Vialle apporte séduction et ambiguïté à Paulette, jeune femme apparemment charmante, qui se révèle à la fois ambitieuse, audacieuse, passionnée, sans scrupules… mais aussi très pragmatique si l’on y pense….
Ce quadrille amoureux est mis en scène avec beaucoup d’élégance et d’esprit, dans la forme - superbes décors, costumes, lumières , et le fond : quatre acteurs à l’unisson, qui nous font entendre en toute fluidité un texte précis, rythmé, juste, dans une mise en scène enlevée : les corps et les regards nous disent beaucoup des personnages. Et la musique d’Augustin d’Assignies, les séquences chantées et dansées (belles trouvailles, très bien intégrées dans le spectacle) apportent une dose supplémentaire de légèreté, de joie et de rythme.
Bref, une réussite ! Bravo à toutes et tous !
Courez voir ce Quadrille !
Comédie de Picardie (Amiens) du 01er au 04 Février - reporté à l’automne 2022
Théâtre Princesse Grâce (Monaco) le 05 Mai
Théâtre Montansier (Versailles) du 31 Mai au 03 Juin
Avec Xavier Gallais, Cyril Gueï, Léonie Simaga, Marie Vialle
Mise en scène Jean-Romain Vesperini
Musique Augustin d’Assignies
Scénographie Bruno de Lavenère
Lumières Christophe Chaupin,
Costumes Alain Blanchot
Décor construit dans les Ateliers du TNN
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