Voilà…
La belle aventure artistique Tartuffe-Théorème s’est terminée au Théâtre de la Criée, à Marseille.
C’était beau, joyeux et un peu mélancolique aussi après un peu plus d’une année au cours de laquelle j’ai eu la chance de suivre ce spectacle, créé en Novembre 2021 à Marseille sur les routes de France, à Paris, Villeurbanne, Angers, Anglet, Créteil, Amiens et Caen, pour revenir en cette fin d’année à Marseille.
Quelle joie d’avoir pu être là pour ce dernier soir sur scène de la merveilleuse équipe réunie par Macha Makeïeff !
Une troupe de grand talent, qui nous a donné chaque soir l’impression d’inventer l’histoire et le texte devant nous… et nous a permis de nous imprégner de la musicalité virtuose des alexandrins !
Est-ce un hasard (je ne le crois pas) si ce dernier soir, la troupe m’a semblée plus unie que jamais, dans l’écoute, l’audace, la fluidité, l’énergie qui étaient en germe dès la première et qui ont continué à s’affirmer au fil des semaines, des mois, tout en accueillant quelques nouveaux venus ces dernières semaines (Lisa Spurio, Edouard Eftimakis, Thomas Gonzalez) !
Est ce un hasard (je ne le crois pas non plus) si certaines scènes m’ont semblé nourries ce dernier soir d’un supplément de douceur, malgré la cruauté ou la défiance des relations qui s’y jouent…
Ce qui m’a frappée, en cette dernière, est à quel point Macha Makeïeff a fait de son Tartuffe-Théorème un spectacle de troupe, dans lequel chaque personnalité singulière sert le collectif, sans jamais faire d’ombre à ses partenaires. Ainsi, le plus souvent, une grande partie des acteurs restent présents sur scène, engagés même silencieusement, dans l’écoute active des événements qui se déroulent dans la maison d’Orgon !
« Les sentiments humains que voilà ! » et qui nous sont montrés dans toute leur complexité, leurs ambiguïtés et nous mettent nous, spectateurs, comme la plupart des personnages, dans la position de voyeurs, tantôt indignés, tantôt complices, tantôt séduits… nous aussi confrontés à nos propres contradictions, lâchetés et ambivalences !
Il y a sur scène tous ces miroirs… comme pour nous placer de force face à nous-mêmes et à nos consciences, et qui renforcent la posture de voyeur, comme un motif du spectacle…
Tartuffe qui se faufile avec ses sbires dans la pénombre de la maison, à l’affût des moindres mouvements de ses occupants et invités ;
Damis qui espionne la conversation entre Orgon et Cléante ;
Elmire qui observe le règlement de comptes entre Orgon, Damis et Tartuffe ;
Dorine et Flipote qui écoutent la conversation d’Orgon avec Mariane ;
Dorine qui surprend Tartuffe et Laurent ;
Cléante qui observe la cérémonie secrète !
Voyeurs donc ! Dans une mise en scène qui mêle les codes et excès d’une époque et de nombreux repères artistiques.
Je ne reviendrai pas en détail sur les références cinématographiques audacieuses et judicieuses, qui créent des images saisissantes pour le spectateur, ni sur les choix de musiques qui ouvrent elles aussi des portes inattendues à notre imaginaire.
Dans ce salon tout droit sorti des années 50 ou 60, avec ses couleurs chatoyantes qui contrastent avec la noirceur de l’habit de Tartuffe et de sa suite, Dorine plante ses banderilles et vise (juste !) presque toute la maisonnée : Madame Pernelle ; Orgon ; Tartuffe ; Laurent ; Mariane ; Valère ; Damis…
Samedi soir, pour la dernière, Irina Solano a laissé toutefois émerger la fragilité de Dorine plus que je ne l’avais jamais vue : sa déception devant la fuite d’Orgon a semblé un instant la décourager… puis elle a repris la bataille !
Samedi soir, pour la dernière, Vincent Winterhalter s’est plus que jamais autorisé à sortir du cadre, dans quelques passages touchant au burlesque : Orgon a même esquissé quelques pas de danse !
Samedi soir, pour la dernière, Loïc Mobihan m’a semblé conduire le personnage de Damis aux confins de la folie, prêt à basculer, dans sa haine de Tartuffe, et son exasperation face à l’attitude méprisante de son père.
Samedi soir, pour la dernière, Xavier Gallais a dévoilé un Tartuffe particulièrement manipulateur et lucide, guidé par son goût prononcé pour les jeux de pouvoir et de domination, laissant toutefois entrevoir les failles d’une profonde vulnérabilité…
Ainsi, l’aveu de Tartuffe, dont on ne pourra dire à quel point il est sincère :
« Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ; Elle n’est qu’un amas de crimes et d’ordures ».
Samedi soir, pour la dernière, j’ai aimé voir Tartuffe suivre des yeux une spectatrice tentant de lui échapper…et être rappelé à l’ordre par Elmire (Hélène Bressiant) qui se sentait délaissée 😉
Comme j’ai aimé être « tartuffiée » soir après soir !
Découvrir ce spectacle chaque fois réinventé, dans des lieux différents, avec des publics renouvelés et enthousiastes, toutes tranches d’âge confondues (quelle joie de voir autant de jeunes gens découvrir ainsi le théâtre !).
Que d’émotions, de rires, d’étoiles dans les yeux et de joie dans le coeur !
J’ai aimé me sentir presque membre de la
famille d’Orgon, savourer la langue de Molière et l’acuité de son propos !
J’ai aimé les plumes perdues du plumeau de Flipote et voir Tartuffe et Orgon s’en emparer avec espièglerie !
J’ai aimé la dernière aux Bouffes du Nord et son entracte forcé suivi du brillant retour sur scène de Tartuffe !
J’ai aimé voir Tartuffe manipulé par Mariane (Nacima Bekhtaoui) et leur « selfie - Polaroïd » à la Comédie de Caen !
J’ai aimé découvrir la délicieusement malicieuse Jeanne-Marie Levy, le brillant et subtil Loïc Mobihan, le discret Luis Fernando Perez, l’étonnant Jin Xuan Mao, l’irrésistible Pascal Ternisien.
J’ai aimé retrouver le singulier Jean-Baptiste Le Vaillant et le faussement sage Vincent Winterhalter.
J’ai aimé chacun dans son engagement, son énergie, sans oublier les équipes techniques elles aussi très impliquées !
J’ai aimé découvrir l’univers de Macha Makeïeff.
J’ai aimé chacune des représentations auxquelles j’ai assisté… son rythme propre, ses trouvailles, les réactions du public autour de moi.
Et puis j’ai évidemment aimé suivre avec une curiosité renouvelée les variations de celui qui nous plonge au coeur du mystère de Tartuffe : jamais exactement là où on pourrait l’attendre, Xavier Gallais nous surprend, nous cueille à chaque représentation, et met en mouvement tous nos sens, affolés par les multiples facettes qu’il suggère de ce personnage, que j’ai vu tour à tour bandit de grand chemin, grand oiseau noir, rapace au regard perçant, amoureux vulnérable, serial-séducteur aux élans irrépressibles, petit garçon joueur et cruel, faux dévôt, prédateur, gourou, vampire, grand acteur, manipulateur, prêt à basculer dans la folie, mais aussi victime sous influence et abandonnée.
Quelle partition !!!
« Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois, et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix ».
Ces mots de Tartuffe (à Elmire) pourraient illustrer la profondeur, le raffinement, la recherche, la qualité de son jeu qui passe par le corps tout entier, les regards, les mains… avant même qu’un seul mot soit prononcé.
Les scènes ajoutées par Macha Makeïeff en sont des exemples extraordinaires qui m’ont à chaque fois touchée, saisie : le prologue, la solitude de Tartuffe, la scène de cérémonie initiatique, l’épilogue…
Quant au texte, il est entre les mains d’un instrumentiste virtuose, qui parvient chaque soir, par la diction, les modulations et changements de rythmes de la voix, les silences, à tout réinventer.
J’ai versé une larme ce samedi soir, en cette dernière, alors que Macha Makeieff s’est subrepticement glissée sur scène pour l’épilogue… particulièrement bouleversant : Tartuffe est retourné, dans un dernier sursaut triomphant, à sa misérable solitude ; la famille, enfin libérée, peine un instant à y croire ; et Orgon, pudiquement soutenu par sa fille, laisse éclater son désespoir 💔
Mes escapades dans le sillage de ce Tartuffe Théorème vont me manquer ! Les souvenirs de cette création et de cette tournée sont de précieux trésors qui vont m’accompagner, en attendant de retrouver les uns et les autres sur scène.
MERCI encore de ces merveilleux moments partagés 🥰
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